Blanchot et l’espace - une métaphore obsédante
Abstract
Dans L’Espace Littéraire, Blanchot caractérise l’expérience artistique par une « privation de monde » et par l’errance dans un « dehors du monde ». Certes, ce monde semble être ce que la phénoménologie appelle ainsi – c’est l’interprétation de Marlène Zarader - et Blanchot semble y démarquer la philosophie de l’art d’Emmanuel Lévinas. Mais l’opposition du monde et de l’espace renvoie aussi à la cosmologie classique : la « privation de monde » semble le souvenir de l’hypothèse, discutée au XVIIème siècle, d’un espace antérieur à la création du monde, et le « dehors du monde » semble celui du vide infini que certains penseurs antiques imaginaient au-delà de leur monde sphérique. Plusieurs textes ultérieurs manifestent l’intérêt de Blanchot pour les cosmologies modernes, en particulier pour le modèle de l’univers vide de Willem de Sitter et pour celui de l’univers en expansion d’Einstein. D’autre part, dans les années 50, la notion de « dehors » revient dans des contextes variés, caractérisant aussi bien l’expérience biblique du désert que le monde du nouveau-né.
In memoriam
Françoise Eynac Bigo de Morogues (1955-2015)
Le Dehors
En 1955 Blanchot publie L’Espace littéraire. Pourquoi ce titre ? Pourquoi l’espace littéraire ?
I
Joubert et l’espace
On peut espérer trouver une réponse dans un article sur Joubert que Blanchot publia la même année, puisqu’il le reprit dans Le Livre à Venir sous le titre de « Joubert et l’espace » . Selon lui, cet écrivain a médité « ce pouvoir de représenter par l’absence et de manifester par l’éloignement qui est au centre de l’art, pouvoir qui semble écarter les choses pour les dire, les maintenir à l’écart pour qu’elles s’éclairent, pouvoir de transformation, de traduction, où c’est cet écart même (l’espace) qui transforme et traduit, qui rend visibles les choses invisibles, transparentes les choses visibles, se rend ainsi visible en elles et se découvre alors comme le fond lumineux d’invisibilité et d’irréalité d’où tout vient et où s’achève. » Il revient plus loin à ce sujet de l’espace, dans le parallèle qu’il fait de Joubert et de Mallarmé : « Tous deux ont une expérience profonde de la « distance » et de la séparation qui seules nous laissent parler, imaginer et penser. Tous deux sentent que la force de la communication poétique ne vient pas de ce qu’elle nous ferait participer aux choses, mais de ce qu’elle nous les donne hors de leur atteinte » - et cette séparation, c’est « cette trame d’absence et de vide que [Joubert] appelle l’espace ». Mais, à la différence de Mallarmé, Joubert n’aurait pas séparé les deux régions (la région des mots et la région des choses), il aurait au contraire vu dans la séparation « la part commune des choses, des paroles, des pensées et des mondes, de ce ciel en haut et de cette transparence en nous qui ici et là sont pure étendue de lumière. » C’est pourquoi, lorsque Joubert découvre que « dans la littérature, toutes choses se disent, se font voir […] dès qu’elles s’éloignent, s’espacent, s’atténuent et finalement se déploient dans le vide incirconscrit et indéterminé dont l’imagination est l’une des clés », il en conclut hardiment que « ce vide et cette absence sont le fond même des réalités les plus matérielles… » C’est au point, dit-il, que « si l’on pressait le monde pour en faire sortir le vide, il ne remplirait pas la main ». A ce sujet Blanchot note qu’il y a chez Joubert « une physique et une cosmologie de rêve (qui ne sont peut-être pas très loin des affirmations d’un savoir plus moderne). » Cette cosmologie n’est pas non plus très éloignée, comme on va le voir, de la « cosmologie de rêve » qui s’exprime – certes implicitement - dans certains textes de Blanchot.
II
L’espace littéraire
Pourquoi L’Espace littéraire ? A cette question on peut aussi espérer trouver une réponse dans l’ouvrage lui-même, puisque son troisième chapitre a pour titre « L’espace et l’exigence de l’œuvre », et qu’il fut sans doute l’un des premiers à être écrits - il fut publié en mars 1952 dans la revue Critique.
Dans ce chapitre Blanchot soutient que l’expérience artistique est celle de la privation du monde : « L’artiste qui s’offre aux risques de l’expérience qui est la sienne [se sent] privé du monde ». Plus loin il formule l’idée d’un « dehors du monde » : « [Une] exigence […] attire [l’artiste] hors du monde ». « L’œuvre apprivoise momentanément ce « dehors » en lui restituant une intimité ; elle impose silence, elle donne une intimité de silence à ce dehors sans intimité et sans repos qu’est la parole de l’expérience originelle. » Et il rejette avec insistance toute confusion de ce qui est « hors du monde » avec un « autre monde » : « L’art est lié […] à ce qui est hors du monde et il exprime la profondeur de ce dehors sans intimité et sans repos. […] Cela ne signifie pas que l’art affirme un autre monde, s‘il est vrai qu’il a son origine, non dans un autre monde, mais dans l’autre de tout monde . »
Dans la seconde partie du chapitre Blanchot analyse « le cas de Kafka » à partir de ce que son Journal révèle de son expérience. Il lui semble exemplaire, car « Kafka décrit la situation de celui […] qui a perdu le monde, la vérité du monde », or « l’art est lié, précisément comme l’est Kafka, à ce qui est hors du monde. » Blanchot cite à ce sujet deux pages du Journal dans laquelle s’exprime cette « exigence de l’œuvre » : « Pourquoi voulais-je sortir du monde ? Parce que « lui » (le père) ne me laissait pas vivre dans le monde, dans son monde. Naturellement, aujourd’hui, je ne puis pas en juger aussi clairement, car maintenant je suis déjà citoyen en cet autre monde qui a avec le monde habituel le même rapport que le désert avec les terres cultivées (pendant quarante ans j’ai erré hors de Chanaan)… » Comme l’écrit Blanchot, « dans cette nouvelle perspective, celle de la détresse, l’essentiel est de ne pas se tourner vers Chanaan. La migration a pour but le désert, et c’est l’approche du désert qui est maintenant la vraie terre promise. » Le lendemain, Kafka écrit : « Dans ce monde la situation serait effroyable […] Mais je suis ailleurs. Seulement, la force d’attraction du monde des hommes est monstrueuse, en un instant elle peut tout faire oublier. Mais grande aussi est l’attraction de mon monde. » « Que cet autre monde ait à voir avec l’activité littéraire », Blanchot estime que « cela n’est pas douteux. »
Mais il remarque que, dans ces textes mêmes, « la privation du monde se renverse dans une expérience positive, celle d’un monde autre dont [Kafka] est déjà citoyen ». « Jeté hors du monde, dans l’erreur de la migration infinie, il lui [faut] lutter sans cesse pour faire de ce dehors un autre monde » . Et dans la dernière page du chapitre, Blanchot rappelle à nouveau, avec une certaine sévérité, qu’il arrive à Kafka de confondre, « de manière assez trouble », l’expérience littéraire et l’expérience religieuse, « en passant du désert de la foi à la foi dans un monde qui n’est plus le désert mais un autre monde. » Quant à lui, Blanchot estime que « l’artiste […] est celui pour qui il n’existe pas même un monde, car il n’existe pour lui que le dehors, le ruissellement du dehors éternel. »
III
Kafka
De quoi, concrètement, l’art priverait-t-il l’artiste ? Quel est, concrètement, le « monde » hors duquel l’art l’attirerait ? Les citations que donne Blanchot du Journal de Kafka le disent assez clairement, le « monde » dont ce dernier est privé, c’est « le monde des hommes ». Le monde dont il aurait voulu sortir, c’est le monde dont son père l’aurait exclu. Et ce monde, c’est celui où l’on mène une vie normale, où, par exemple, on se marie et on a des enfants. Blanchot est le premier à l’admettre : pour Kafka, écrit-il, « le monde est d’abord sa famille dont il supporte difficilement la contrainte, sans jamais pouvoir s’en libérer. C’est ensuite sa fiancée, son désir essentiel d‘accomplir la loi qui veut que l’homme réalise son destin dans le monde, ait une famille, des enfants, une communauté. » Car le mariage est pour lui la loi : « Kafka, s’il abandonne le bonheur terrestre, [pense qu’il] abandonne aussi la fermeté d’une vie juste. » K., l’arpenteur du Château, est lui aussi décrit comme ayant à jamais renoncé à « son monde, son pays natal, la vie où il y a femme et enfants… » Le « dehors » est, Blanchot l’écrit explicitement, l’exclusion de ce monde-là : « Dès le commencement […] [K.] appartient à l’exil, ce lieu où non seulement il n’est pas chez lui, mais où il est hors de lui, dans le dehors même. » Autrement dit, ce dehors, c’est la solitude.
Cette solitude, ce n’est pas seulement celle de l’homme qui n’a ni femme ni enfants, c’est celle de celui qui n’a pas de patrie, - celle du Juif qui, renonçant au sionisme, accepte l’exil. « Le sionisme, c’est la guérison de l’exil, l’affirmation que le séjour terrestre est possible, que le peuple juif n’a pas seulement pour demeure un livre. » Cette réconciliation, Kafka la veut certes profondément. Mais « il appartient déjà à l’autre rive, et sa migration ne consiste pas à se rapprocher de Canaan, mais à se rapprocher du désert, de la vérité du désert, d’aller toujours plus loin de ce côté-là… »
Quel est alors cet « autre monde » que Blanchot reproche à Kafka d’espérer ? C’est le monde du divin. Dans le Journal de Kafka, Blanchot voit « des allusions à l’Ancien Testament »: « Prends-moi donc dans tes bras, c’est le gouffre, accueille-moi dans le gouffre. » « Prends-moi, prends-moi, moi qui ne suis qu’entrelacement de folie et de douleur. » « Aie pitié de moi, je suis pécheur dans tous les replis de mon être, ne me rejette pas parmi les perdus. » Blanchot rappelle qu’on a traduit certains de ces textes en y ajoutant le mot Dieu alors qu’il n’y figure pas. Mais il ne nie pas « la direction religieuse » de ces « invocations ».
De fait, au moins dans la Bible, la séparation et la solitude sont les conditions de la rencontre de Dieu. La séparation : Yahvé dit à Abraham de quitter son pays, sa patrie et la maison de son père ». La solitude : Moïse reste seul avec Iahvé au mont Sinaï– « Personne ne montera avec toi, personne même ne sera vu dans la montagne » ; Elie marche seul « jusqu’à la Montagne de Dieu, l’Horeb » ; Jésus, après son baptême, est « emmené au désert par l’Esprit ».
IV
Examinons à présent, non plus la conception de l’expérience artistique, mais la métaphore par laquelle Blanchot l’exprime, non le comparé, mais le comparant.
Le mot monde désigne l’univers, le cosmos. Mais ce n’est pas sa première signification. Il signifie aussi « la vie sociale des hommes ». Et ce sens semble originel De fait le mot kosmos aurait signifié « l’ordre [auquel un homme] a affaire comme homme ordinaire vivant parmi les hommes ordinaires ». Pythagore est réputé être le premier à nommer kosmos l’univers, à avoir ainsi appelé le ciel - « entendons qu’il aurait, le premier, englobé les astres, le ciel, dans le cosmos ». Comme le dit Aristote, « au début, l’étonnement [des premiers penseurs] porta sur les difficultés qui se présentent les premières à l’esprit, puis, s’avançant ainsi peu à peu, ils étendirent leur exploration à des problèmes plus importants, tels que les phénomènes de la lune, ceux du soleil et des étoiles, enfin la genèse de l’univers. » Autrement dit « la notion [de kpsmos] était présente à l’esprit de ces « premiers penseurs » avant qu’ils aient étendu leur exploration aux phénomènes célestes, avant que Pythagore ait appliqué cette notion à ces phénomènes.
Ayant désigné par le terme monde la vie familiale et sociale, je crois pouvoir supposer que Blanchot a été conduit par la plurivocité du terme à penser à l’univers, au cosmos, et à métaphoriser la privation du « monde des hommes » et la solitude hors de ce monde qui serait la condition de l’artiste – par l’espace, l’espace antérieur et extérieur à l’univers.
V
L’espace vide
« [L’artiste […] [se sent] privé de monde. » A la fin du premier chapitre de L’Espace littéraire, Blanchot avait déjà évoqué cette privation : « Ecrire, c’est par [le langage] et en lui, entrer en contact avec le milieu absolu […]: l’ouverture opaque et vide sur ce qui est quand il n’y a plus de monde, quand il n’y a pas encore de monde. » Or, qu’est-ce qui est quand il n’y a plus de monde ou quand il n’y a pas encore de monde, si ce n’est l’espace ?
L’espace, en effet, est couramment conçu comme un milieu. Or cette conception implique qu’il aurait pu y avoir un espace sans qu’il y ait des corps qui l’occupent. C’est d’ailleurs la conception de Kant et celui-ci la fonde sur le fait qu’on peut « penser qu’il n’y ait pas d’objets dans l’espace ».
D’ailleurs, « il ne peut y avoir de mouvement sans [espace] vide ». Ne devrait-on pas reconnaître que l’espace est antérieur aux corps qui l’occupent puisque, semble-t-il, s’il ne leur était pas antérieur, ils ne pourraient pas se déplacer ? Et si l’espace, en tant que ce milieu vide, leur est préalable, il peut exister un espace sans eux, cet espace serait espace au sens plein du terme.
Certes – on y reviendra - Blanchot ne parle pas de ce qui sera quand il n’y aura plus de monde, ni de ce qui était quand il n’y avait pas encore de monde. Mais, de formation philosophique, il n’ignore probablement pas les problèmes que se posèrent certains des penseurs qui admettaient la création du monde. Les uns niaient qu’un temps se soit écoulé avant la création, le temps selon eux aurait été créé ; les autres maintenaient l’idée d’un temps infini, antérieur à la création, Or une question analogue se posait au sujet de l’espace. Ainsi Roberval supposa que Dieu avait créé le monde dans un espace incréé : « Supposé que Dieu n’eust rien créé, il pretend qu’il y aurait encore le mesme espace solide reel, qui est maintenant, et fonde la vérité eternelle de la Geometrie sur cet espace, tel que seroit l’espace où sont tous les cors enfermez dans le Firmament, si Dieu aneantissoit tous ces corps. ». « Suarez [admit] que Dieu puisse détruire le monde sublunaire et laisse un espace vide derrière lui ».
Certes Poincaré a critiqué l’idée d’un espace absolu. Et cette conception est aujourd’hui rejetée, depuis la théorie de la relativité. C’est ainsi qu’un cosmologiste contemporain, Jean-Pierre Luminet, rappelant que « beaucoup de gens ont à l’esprit une bulle de matière plongée dans un océan de néant », et imaginent « une zone avec de la matière […] qui s’étendrait jusqu’à une certaine frontière au-delà de laquelle il n’y aurait plus que de l’espace vide », déclare que « cette vision est erronée », qu’« il n’y a probablement pas d’espace physique sans matière ou énergie. » Certes il est impossible de le prouver parce qu’« on ne peut pas retirer toutes les formes de l’énergie de l’Univers pour vérifier que l’espace disparaît bien avec elles », néanmoins, « les théories de la relativité générale et de la mécanique quantique, piliers de la physique moderne, nous confortent dans cette idée ».
Cependant, deux mois après qu’Einstein ait publié son premier mémoire sur la cosmologie en 1917, l’astronome néerlandais Willem de Sitter proposa un autre modèle d’univers qui satisfait aux mêmes lois de gravitation universelle mais qui suppose que la densité de la matière devait être nulle : il « supposait que l’espace-temps cosmique était vide. »
Or Blanchot évoque cette cosmologie – sans en nommer l’auteur - dans un texte de 1963, « René Char et la pensée du neutre », afin de montrer la différence entre «l’inconnu » et l’ idée de « l’absence radicale », c’est-à-dire « le fait qu’il n’y aurait rien » : « Supposons le tout de ce qui est à l’image d’une sphère finie et illimitée, supposons cet univers absolument privé de matière, c’est-à-dire privé d’attraction, s’ouvrant sur une hyperbole à quatre dimensions et devenant un univers vide, d’ailleurs peu différent de l’univers quasi vide qui est le nôtre. »
« Une sphère finie et illimitée » : Blanchot fait là allusion au premier modèle cosmologique d’Einstein. Avec « l’hyperbole à quatre dimensions », Blanchot fait allusion au modèle cosmologique de de Sitter. Certes dans cet article, Blanchot rejette cette « supposition » : « Un tel univers vide, en tout identique à quelque néant, sera toujours mathématisable, toujours soumis au calcul du vide même. De tels modèles […] montrent que la connaissance, à condition de partir de postulats logiques et d’en maintenir la cohérence, n’est nullement déboutée par le fait qu’il n’y aurait rien, et nous pouvons très bien calculer le vide d’un univers vide. »
Il n’en reste pas moins remarquable que Blanchot écrit, certes incidemment, que cet univers est « peu différent de l’univers quasi vide qui est le nôtre » et de ce modèle qu’il est « à peine fictif », - autrement dit il affirme, certes en passant, que notre univers est quasi vide et que le modèle de l’univers vide de De Sitter lui paraît correspondre à la réalité. Il se montre en tout cas sensible à un caractère de l’univers qui est rarement souligné – il l’a été naguère par James Jeans que Blanchot a sans doute lu : « L’astronomie peut nous apprendre le vide et l’immensité de l’espace. » « Dans son entier, l’univers n’est pas peuplé d’étoiles : c’est une étendue inconcevablement vaste d’espaces déserts dans lesquels la présence d’une étoile est un évènement rare et exceptionnel. »
En 1980, dans L’Ecriture du Désastre, Blanchot a rapporté la vision qu’il aurait eue, encore enfant, d’un tel espace vide de monde : « le ciel ouvert, noir absolument et vide absolument ». L’enfant reconnaît que « rien est ce qu’il y a »..Ce rien positif, n’est-ce pas l’espace vide du monde qui est l’ensemble des corps ?
V
L’espace infini
Examinons la seconde métaphore de Blanchot. Qu’est-ce que le « dehors du monde » ?
Nous pouvons difficilement le concevoir, parce que le monde nous semble infini. Mais Blanchot a étudié, à l’Université de Strasbourg, la philosophie antique. Or dans l’Antiquité (et jusqu’aux Temps modernes) le monde était conçu comme une sphère, les étoiles fixes semblant tourner autour de la terre – d’une terre en repos : c’était donc un monde clos et dès lors l’idée d’un « dehors du monde » était concevable. Qu’était-ce alors que le « dehors du monde » ? Ce ne pouvait être, du moins pour ceux qui admettaient sa réalité, que le vide. Telle était, par exemple la cosmologie des Stoïciens : « Zénon et ceux qui le suivent affirment […] qu’à l’extérieur [du monde] il y a un vide infini » ; de même, d’après Posidonius « hors du monde il y a le vide qui s’étend à l’infini en tous sens. ». Les Epicuriens supposaient, eux aussi, « un vide infini au-delà du monde ». Le vide, c’est-à-dire l’espace. « Le vide, » écrit Lucrèce, « ou, si tu veux, l’étendue, l’espace s’étend sans limite et dans un abîme de profondeur ». Au Moyen-Age, plusieurs auteurs envisageaient la possibilité d’un espace vide au-delà du monde que l’on a fini par appeler « espaces imaginaires », à savoir l’espace qui devait permettre à Dieu de mettre le monde entier entièrement en mouvement. » « Certains [dirent] que l’espace en dehors du cosmos est vraiment réel. »
« De toutes parts s’étend un libre espace sans limites ». Telle est sans doute la conception que Blanchot a à l’esprit quand il écrit L’Espace littéraire, du moins elle explique le titre de l’ouvrage et le titre du deuxième chapitre: « L’espace et l’exigence de l’œuvre » : si l’art attire l’artiste hors du monde, ce dehors ne peut être, semble-t-il, que cet « espace qui s’étend sans limite et dans un abîme de profondeur »
Une autre interprétation est certes possible, dès lors que monde peut aussi désigner le globe terrestre – on fait « le tour du monde ». Alors à ce monde on peut opposer l’infinité de l’espace « cosmique ». Ainsi, dans le Discours de la Méthode, Descartes évoqua les « espaces imaginaires » des Scolastiques, et dans les Principes, il affirma leur réalité : « Quelque part où nous veuillons feindre [des bornes à l’univers], nous pouvons encore imaginer au-delà des espaces indéfiniment étendus, que nous n’imaginons pas seulement, mais que nous concevons être tels en effet que nous les imaginons. » Dans le célèbre fragment « Infini-rien », Pascal le réaffirma : « [L’imagination] se lassera plutôt de concevoir [des immensités d’espaces] que la Nature d’en fournir […] Nulle idée n’en approche : […] nous avons beau enfler nos conceptions au-delà des espaces [imaginaires] imaginables, nous n’enfantons que des atomes au prix de la réalité des choses. »
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VI
L’« exotisme » d’Emmanuel Lévinas
Cependant Blanchot parle de « ce qui est quand il n’y a plus de monde [et] quand il n’y a pas encore de monde », non de ce qui sera encore quand il n’y aura plus de monde ni ce qui était déjà quand il n’y en avait pas encore. Ce monde ne peut donc être l’univers, car c’est de lui seul qu’on a pu penser – à tort ou à raison, et plus ou moins clairement - qu’il pourra cesser d’exister et qu’il aurait pu ne pas exister. Dès lors qu’il parle de ce qui est « quand il n’y a pas encore de monde ou quand il n’y a plus de monde », Blanchot pense très probablement à ce que Martin Heidegger appelle le « phénomène du monde. » Cependant, celui-ci ne pense pas que l’existant (Dasein) puisse jamais être sans monde. Blanchot, tout en la présupposant, conteste donc la philosophie de Heidegger.
De ce point de vue, la pensée de Blanchot d’une « privation du monde » et d’un « dehors du monde » doit être rapprochée des conceptions de « l’existence sans monde » et de « l’exotisme » (étymologiquement, l’exo-terikos) qu’en 1947 Emmanuel Lévinas avait développées dans De l’Existence à l’Existant. Dès le début du premier chapitre de cet ouvrage, Lévinas avait affirmé, contre Heidegger, que « la relation avec un monde n’est pas synonyme de l’existence » et que « celle-ci est antérieure au monde ». Et dans une section intitulée « l’exotisme », renvoyant à l’étymologie de ce terme (exo- « hors », exotikos, « étranger »), il avait esquissé une théorie de l’art proche de la conception exposée dans L’Espace littéraire - et qui, peut-être, l’éclaire. « Nous pouvons, dans notre relation au monde nous arracher au monde. » Et cette possibilité, ce serait l’art : « L’art fait sortir [les choses du monde, les arrache, par-là, à leur appartenance à un sujet ».
Considérons les arts figuratifs, la photographie par exemple : « Cette manière d’interposer entre nous et la chose une image de la chose a pour effet d’arracher la chose à la perspective d’un monde. […] […] Le tableau, la statue, le livre sont les objets de notre monde mais à travers eux les choses représentées s’arrachent à notre monde. » « La réalité reste étrangère au monde en tant que donné. » Lévinas propose ainsi une théorie de l’art opposée à celle que proposait, à la même époque, Maurice Merleau-Ponty. Celui-ci louait dans Cézanne d’avoir réveillé la perception contre la tradition rationnelle fondée sur l’oubli de celle-ci. D’une manière générale, pour Lévinas, l’art quitterait la perception pour revenir à la sensation : « Dans la perception, un monde nous est donné » - par exemple « les sons, les couleurs, les mots se réfèrent aux objets qu’ils recouvrent en quelque manière. », ainsi « le son est le bruit d’un objet, la couleur colle à la surface des solides, le mot […] nomme un objet. » ; mais « le mouvement de l’art consiste à quitter la perception pour réhabiliter la sensation, à détacher la qualité de ce renvoi à l’objet ». « C’est cet égarement [de l’intention] dans la sensation, dans l’aisthesis, qui produit l’effet esthétique, » Ce serait manifeste dans le cas de la musique : « En musique […] cette façon pour une qualité de se dépouiller de toute objectivité […] apparaît comme absolument naturelle. Le son musical n’est plus un bruit, et il est susceptible de liaisons et de synthèses qui n’ont plus rien de commun avec l’ordre des objets ». Mais il en serait de même de la poésie : « Le mot n’est plus séparable du sens. Mais il y a d’abord la matérialité du son qu’il remplit et qui permet de le ramener à la sensation et à la musicalité telle [qu’elle vient d’être définie] : il est susceptible de rythmes, de rimes, de mètres, d’allitérations, etc. » Il en est de même, sinon dans la peinture, du moins « dans une peinture qui se veut révolutionnaire » - parce que « le lien [des couleurs] avec les choses est plus intime » : « Elles entrent dès lors, à leur tour, dans des ensembles indifférents à l’égard des synthèses d’objets dans le monde ». Lévinas étend son analyse au cinéma : « [Les gros plans] n’empruntent pas leur intérêt uniquement à leur pouvoir de rendre visibles les détails. Ils arrêtent l’action où le particulier est enchaîné à un ensemble pour lui permettre d’exister à part ; ils lui permettent de manifester sa nature particulière et absurde », mettant à nu ce que l’univers visible […] estompe et dissimule ». Dans tous ces cas « l’intention est commune de présenter la réalité dans une fin du monde. »
C’est sans doute la lecture de l’essai de Lévinas qui explique pourquoi Blanchot dit du dehors du monde qu’il est « sans intimité ». Dans le chapitre « Le Monde », Lévinas lie le monde à l’intériorité : « [Le moi dans le monde] est intériorité. Le moi dans le monde a un dedans et un dehors. […] Le sens, c’est ce par quoi un extérieur est déjà ajusté et se réfère à l’intérieur ». « Les choses se réfèrent à un intérieur en tant sue parties d’un monde donné ». « Les formes accomplissent la transmutation de l’extériorité en intériorité. » Au contraire, « la réalité exotique de l’art […] n’étant plus objective, ne se réfère pas à notre intériorité ». « Les « objets » sont dehors, sans que ce dehors se réfère à un « intérieur ». « Les formes et les couleurs du tableau […] conservent l’extériorité des choses ». Dans un tableau le monde est « arraché à sa référence à un dedans, c’est-à-dire [qu’il a] perdu sa qualité même de monde ».
VII
L’interprétation de Marlène Zarader
D’après Marlène Zarader, cette pensée du « dehors du monde » constituerait une réponse à Husserl, cette « irruption du dehors » serait la contestation du concept phénoménologique de monde, tel que rien ne saurait prendre forme que sur fond de monde. « Le dehors s’opposerait ainsi au premier des réquisits de la phénoménologie husserlienne : « Le dehors advient par effraction, à l’écart de tout horizon sur lequel il se détacherait ; il n’a d’autre consistance que d‘être, radicalement, hors monde – en claire opposition à la détermination husserlienne du monde comme horizon d’apparition de tout ce qui est ou peut être. »
Ainsi Blanchot dit, au sujet du dehors, qu’il est « ce qui surgit quand, même avec nous, même avec notre mort, nous n’avons plus des rapports de possibilité ». Le lecteur de Husserl peut demander : comment peuvent-elles apparaître, puisque seul peut apparaître ce qui prend place dans un monde, et que le monde est l’horizon du possible ? « La réponse de Blanchot est d’une parfaite cohérence : Si l’impossible doit apparaître, il faut qu’il le fasse hors monde, il faut que, loin de se détacher sur un horizon mondain […], il surgisse hors horizon et reflue sur celui-ci pour le faire éclater. C’est cette rupture du monde que Blanchot nomme « le dehors ». C’est en parfaite conformité à l’expérience dans laquelle elle se donne qu’il la nomme : le Dehors. Cette expérience en effet ne se situe pas dans le monde […] elle n’ouvre pas non plus un autre monde […] elle désigne bien plutôt l’autre de tout monde […] C’est parce qu’elle est vouée à se déployer hors du monde qu’elle peut et doit être dite « dehors » . »
De plus, Blanchot dit de l’artiste qu’il est « absent de soi », il dit de l’exil de l’arpenteur du Château que c’est « ce lieu où non seulement il n’est pas chez lui mais où il est hors de lui ». Ainsi le dehors s’oppose au deuxième réquisit de la phénoménologie que formule Marlène Zarader : « Ce dehors de tout monde destitue irrémédiablement celui qui y est exposé, au point de lui interdire de dire Je – c’est-à-dire ébranle toute subjectivité possible. » Enfin, dans « La parole prophétique », Blanchot dit de cette parole qu’en elle s‘exprime « le Dehors, quand il n’y a pas encore de rapports possibles ». Le dehors s’oppose ainsi à un troisième réquisit de la phénoménologie : «Si ce hors-monde se donne à un non-moi, et s’il peut pourtant se donner à lui, c’est parce que sa modalité propre de donation consiste en une paradoxale absence de rapports – par où elle échappe à toute structure d’intentionnalité ».
La lecture de Marlène Zarader est justifiée, puisque dans un chapitre du Livre à Venir, « Où va la littérature ? », Blanchot évoque – pour la rejeter - la notion husserlienne d’« horizon du monde » : « Plus décisive que la déchirure des mondes est l’exigence qui rejette l’horizon même du monde ». Il n’en reste pas moins que, si Blanchot n’avait pas pensé à l’univers de la cosmologie classique, s’il n’avait pensé qu’au monde de la phénoménologie, on ne voit pas pourquoi à ce monde il aurait opposé l’espace, en parlant de « l’espace littéraire » et en associant « l’espace et l’exigence de l’œuvre ».
VIII
La « discontinuité »
En 1960, dans un hommage à Albert Camus, évoquant le monde tel qu’il se révèle après ce que Léon Chestov appelle le retournement, Blanchot évoque une dernière fois « le dehors de tout monde » ; « Ce n’est pas un autre monde, c’est le même devenu étranger à tout arrangement et comme le dehors de tout monde. »
Il semble avoir à l’esprit, non plus l’image de cet espace qui s‘étendait à l’infini au-delà des limites du monde clos qu’imaginaient les Anciens, mais celle d’un monde qui cesse de constituer une unité: «le même [monde] devenu étranger à tout arrangement » (c’est ce que signifie en grec le mot kosmos), « non identique, toujours dispersé. » L’idée (implicite) de l’espace n’est plus ici le concept plus ou moins intuitif de l’espace vide de toutes choses, mais l’idée – sans doute plus juste - de l’espace comme le vide entre toutes choses – et en toute chose - qui constitue leur irréductible pluralité – ce qu’il appellera un peu plus tard la « discontinuité ». C’est peut-être ce qui, à la même époque, le fait s‘interroger sur les cosmologies modernes : ainsi, dans un texte préparatoire à la Revue Internationale il demande : « Quand donc un savant cesse-t-il d’être un savant ? Par exemple, les modèles d’univers, les théories unitaires, peut-on les appeler scientifiques ? »
En 1963, dans « La Pensée et sa forme », Blanchot évoque, - pour le critiquer – l’un de ces modèles, le modèle d’univers d’Einstein. Evoquant l’« aspiration à la continuité absolue » ont témoigneraient les œuvres de Proust et de Joyce, il discerne en elles « le postulat » qu’elle « semble avoir pour répondant » : « C’est que la réalité même,- le fond des choses, le « ce qui est » dans sa profondeur essentielle - serait absolument continue… » Ce postulat serait « aussi ancien que la pensée. » Blanchot donne des exemples : « … C’est la grande sphère parménidienne, c’est le modèle d‘univers d’Einstein. » Quant à lui, il s’enhardit à une « conclusion tout autre » : « Pourquoi l’homme, en supposant que le discontinu lui soit propre et soit son œuvre – ne révélerait-il pas que le fond des choses, auquel il faut bien qu’en quelque façon il appartienne, n’a pas moins affaire à l’exigence de discontinuité qu’à celle de l’unité. ».
Blanchot évoque donc le modèle d’univers d’Einstein comme un exemple du « postulat de la continuité ». Il s‘agit du premier modèle d’Einstein : « la matière y [était] distribuée de façon uniforme et continue, le mouvement relatif des différentes parties entre elles étant négligeable. » Cet univers peut être rapproché de la « sphère parménidienne » dès lors qu’Einstein supposait un « espace sphérique », c’est-à-dire un équivalent à trois dimensions de la surface d’une sphère. Mais Einstein dut abandonner ce modèle pour en proposer un second en 1931 qui présentait un univers en expansion indéfinie : après la découverte par Hubble et Humason de la « fuite » des galaxies, le mouvement relatif de parties de l’univers cessait d’être négligeable.
Blanchot préfère donc dénoncer son premier modèle plutôt que de féliciter Einstein d’avoir proposé le modèle du « monde dispersé ». Mais, sans aucun doute, cette cosmologie d’Einstein n’a pas pu ne pas le séduire, parce qu’elle est le « répondant » de ce qu’on peut appeler son esthétique. Dans les Cosmologies du XXème siècle, Jacques Merleau-Ponty signale qu’après l’abandon du premier modèle d’Einstein « l’esthétique de l’univers hypersphérique […] allait encore longtemps fasciner les esprits. » Le physicien Leopold Infeld, pouvait écrire, en 1940 : « Tout mathématicien, si on lui donnait le choix, verrait notre univers fermé plutôt qu’ouvert ; il y a une beauté mathématique dans un tel univers […] Comparé à l’univers fermé, le monde ouvert d’Einstein-de Sitter » (c’est-à-dire le second modèle d’Einstein) « paraît morne et sans inspiration. » . Blanchot aura été partisan de l’esthétique opposée à l’esthétique classique qui séduisait Infeld. Dans « La pensée et sa forme », il opposa à l’exigence de continuité « l’exigence d’une discontinuité plus ou moins radicale, celle d’une littérature de fragment [qui] prédomine aussi bien ue chez les penseurs chinois que chez Héraclite , et les dialogues de Platon s‘y réfèrent aussi : Pascal, Nietzsche, George Bataille, René Char en montrent la persistance essentielle… »
Quelques années plus tard, dans son hommage à André Breton, « Le Demain joueur », Blanchot tenta de montrer que « la requête surréaliste, dans la mesure où elle convoque l’inconnu par l’aléa et le jeu, appelle un rapport étranger à l’idéologie du continu. »
En 1966, dans une lettre à Roger Laporte, Blanchot confia dans ces termes la vision de L’Ecriture du Désastre : « …ce fut comme si le ciel s’ouvrait, s’ouvrait à l’infini, m’invitant […] à reconnaître l’infinité, mais comme l’infinité vide ». Même si on n’a pas de raison de mettre en doute la réalité de l’expérience dont Blanchot confie le souvenir, il est manifeste que la formulation qu’il en donne ici a été influencée par sa lecture des cosmologistes modernes, et qu’en parlant d’un ciel qui « s’ouvre à l’infini » il n’a pas pu ne pas avoir à l’esprit le second modèle cosmologique d’Einstein, qui propose l’idée d’un univers en expansion indéfinie, tout en se souvenant du (premier) modèle de de Sitter puisque son univers (quasi) vide constitue « la limite, à l’infini de l’avenir, de l’univers en expansion »..
IX
Le dehors
Blanchot revient deux fois à ce « dehors », et dans deux contextes très différents
Dans une chronique sur Freud de 1956 Blanchot dit de l’enfant qui vient de naître qu’il « n’existe ni comme corps constitué, ni comme monde », que « tout lui est extérieur, et [qu’]il n’est presque rien que cet extérieur, le dehors, l’extériorité radicale sans unité, la dispersion sans rien qui se disperse ».
« [Il] n’existe ni comme corps constitué, ni comme monde… ». Blanchot veut sans doute dire que le nouveau-né n’a pas encore découvert que son corps est une chose parmi les autres ni qu’il est dans un monde constitué d’objets permanents. En 1930, dans Malaise dans la Culture, Freud avait exposé ce qui lui semblait la genèse du « dehors », du monde extérieur : « Le nourrisson ne fait pas encore le départ entre son moi et un monde extérieur comme source de sensations affluant sur lui. Il apprend à le faire peu à peu en vertu d’incitations diverses. » La première, c’est l’absence du sein maternel : « … Ce qui lui fait nécessairement la plus forte impression, c’est qu’un certain nombre de sources d’excitation, dans lesquels il reconnaîtra ultérieurement ses organes du corps, peuvent à tout moment lui adresser des sensations, alors que d’autres se soustraient à lui par moments – parmi elles ce qui est le plus désiré : le sein maternel – et ne sont rappelées à lui que par des cris d’appel à l’aide. Par là s’oppose au moi pour la première fois un « objet » en tant que quelque chose qui se trouve « au-dehors »… » La seconde « incitation qui conduit au sentiment d’un dehors, ce serait la douleur : « … Ce qui donne une nouvelle impulsion au détachement du moi d’avec la masse des sensations, donc à la reconnaissance d’un « dehors », d’un monde extérieur, ce sont les fréquentes, multiples et inévitables sensations de douleur […] Une tendance apparaît, celle de mettre à part du moi tout ce qui peut être source d’un tel déplaisir, de le jeter à l’extérieur, de former un moi-plaisir pur auquel s’oppose un dehors étranger… » En 1937, dans La Construction du Réel chez l’Enfant, Jean Piaget avait lui aussi décrit cette « constitution d’un monde d’objets et de relations spatiales », ajoutant que « c’est dans la mesure où [l’enfant] se découvre qu’il se situe dans un univers et constitue celui-ci par le fait même. » « [L’]organisation du réel s’effectue […] dans la mesure où le moi […] se situe […] comme une chose parmi les choses . »
Blanchot ajoute : « Tout lui est extérieur ». Du monde du nouveau-né, Piaget dit que c’est un monde sans objets ni espace objectif : « D’une manière générale, on peut dire que, durant les premiers mois de l’existence, […] l’univers ne présente ni objets permanents ni espace objectif ». Au contraire, notre monde, c’est cet « univers à la fois stable et extérieur, relativement distinct du monde intérieur. » « En ce qui concerne […] les limites entre le moi et le monde extérieur, [cet] univers sans objets [qui est celui du nouveau-né] est un univers tel que le moi s’absorbe dans les objets externes. »
Evoquant le passage de ce monde sans objets - « un monde de tableaux […] qui disparaissent et réapparaissent de façon capricieuse » - à notre monde composé d’objets stables, Piaget le compare « au passage du chaos au cosmos » .Il est frappant que ce que Piaget appelle « chaos » et qu’il oppose au « cosmos », Blanchot l’appelle « le dehors, l’extériorité radicale. »
Indiquons qu’on ne croit plus, aujourd’hui, que le nouveau-né vive dans un tel chaos. « Jusque récemment », écrit Steven Pinker, « on pensait que le monde du nourrisson était un kaléidoscope de sensations », mais aujourd’hui les psychologues supposent qu’il est « équipé d’un mécanisme mental » qui lui permet de vivre dans un monde d’« objets stables obéissant à des lois de la mécanique » : « Nous devons nous attendre à ce que les nourrissons montrent un certain sens de la physique dès le départ.» Pinker rapporte longuement des expériences qui lui permettent d’affirmer que « le bébé de trois à quatre mois voit […] des objets », qu’« il s’en souvient et s‘attend à ce qu’ils obéissent aux lois de la continuité, de la cohésion et du contact quand ils se déplacent ». Le bébé ne serait donc pas « aussi démuni que James, Piaget, Freud et bien d’autres le croyaient.» Récemment les observations scientifiques ont montré la précocité de la perception de soi chez le nourrisson. Un nouveau-né serait capable dès ses premières semaines de se percevoir comme distinct. Ainsi, un bébé de deux jours tourne la tête en réponse à un toucher de joue par autrui, mais ne répond pas quand il se touche lui-même.
X
Le dehors et le désert
En 1957, L’Essence du Prophétisme d’André Néher suggère à Blanchot une réflexion sur « le dehors et le désert ». Dans L’Espace littéraire, il avait cité une page du Journal de Kafka dans laquelle celui-ci décrivait son éloignement du monde comme le mouvement inverse de celui qui avait conduit les Israélites à la Terre promise: « Je suis déjà citoyen de ce monde qui a avec le monde habituel le même rapport que le désert avec les terres cultivées (pendant quarante ans, j’ai erré hors de Canaan)… » Il semble que Blanchot se souvienne de cette page, quand, dans « La parole prophétique », il dit de cette parole presque exactement ce qu’il avait dit de « la parole errante » de « l’œuvre » littéraire. Mais alors que l’exigence de l’art attirait l’artiste hors du monde, le prophète serait attiré par « le désert » : la parole des prophètes est « une parole errante qui fait retour à l’exigence originelle d’un mouvement, en s’opposant à tout séjour, toute fixation, à un enracinement qui serait repos » et ce mouvement serait le fait du nomade dans « le désert ».
Blanchot fonde cette idée sur deux considérations de Néher. La première concerne les Rékabites : « Le retour au désert entrevu par les prophètes du VIIIème siècle a été la réplique spirituelle du retour au désert pratiqué par les sectes rékabites du IXème siècle. »
La seconde considération concerne les Lévites : « La tribu sans terre, celle des lévites, a représenté et maintenu parmi les autres tribus définitivement fixées le pressentiment d’une existence mobile.» Dès lors que les Hébreux n’auraient « commencé d’exister qu’au désert, affranchis pour s‘être mis en marche », il aurait été nécessaire que, « devenus à leur tour possesseurs et demeurants, maître d’un riche espace, il y eût toujours parmi eux un reste qui ne possédât rien, qui fût le désert même, ce lieu sans lieu où seule l’alliance peut être conclue et où il faut toujours revenir comme à ce moment de nudité et d’arrachement qui est à l’origine de l’existence juste. ».
Néher rapportait cet esprit nomade à un « refus de valoriser l’espace » et à la volonté de valoriser le temps. Blanchot comprend autrement « l’expérience du désert et des jours nomades où la terre n’était que promise » : « Le désert, ce n’est ni le temps ni l’espace, mais un espace sans lieu et un temps sans engendrement… » Et c’est alors que lui revient l’idée de « dehors » : dans le désert, « l’homme n’est jamais là, mais au-dehors. » « Le désert, c’est ce dehors où l’on ne peut demeurer, puisque y être, c’est être toujours au dehors et la parole prophétique est alors cette parole où s‘exprimerait, avec une force désolée, le rapport nu avec le Dehors, quand il n’y a pas encore de rapports possibles. ».
Les Rékabites nous sont certes connus par Jérémie : « Jonadab, fils de Rékab, nous a donné un ordre en disant : Vous ne boirez pas de vin, ni vous ni vos fils à jamais ; vous ne bâtirez pas de maison, vous ne sèmerez pas de semence et vous ne planterez pas de vigne, vous n’aurez rien de tout cela car vous habiterez sous des tentes, durant tous vos jours, afin que vous viviez des jours nombreux sur la surface du sol où vous séjournerez. »). Racontant une expédition d’Antigone, Diodore de Sicile décrit des « Arabes nabatéens » qui leur ressemblent : « Les Arabes Nabatéens vivent en plein air ; ils donnent le nom de patrie à une contrée où l’on ne voit ni habitations, ni rivières, ni sources abondantes qui puissent procurer de l’eau à une armée ennemie. D’après une loi du pays ils ne sèment pas de blé, ne plantent aucun arbre fruitier, ne boivent pas de vin et ne construisent aucune maison. Ceux qui font le contraire sont punis de mort. Les Nabatéens maintiennent cette loi, persuadés que ceux qui se créent des besoins deviennent facilement les esclaves de ceux qui peuvent les satisfaire. Ils élèvent, les uns des moutons, les autres des chameaux, et habitent le désert. » . Le traducteur de Diodore nota que « le prophète Jérémie semble faire allusion à cette loi [des Nabatéens] en parlant des Rékabites.» Edouard Dhorme et Roland de Vaux a fait le même rapprochement : « « Ces mœurs des Rékabites avaient persévéré chez les Nabatéens, d’après le témoignage de Diodore de Sicile. »« Dans ces deux textes curieusement semblables il y a l’essentiel de ce qui oppose la vie des nomades à celle des agriculteurs sédentaires. »Mais il ressort du rapport de Diodore que le motif de la « loi » des Nabatéens était tout profane : « Ils sont jaloux de leur liberté, et, lorsqu’un ennemi puissant s’approche de leur pays, ils s’enfuient dans le désert comme dans une forteresse. Ce désert manque d’eau et est inaccessible à tout autre, excepté pour eux. »C’est ce qu’ils auraient dit au fils d’Antigone : « Roi Démétrius, que nous veux-tu ? qui t’a forcé à nous faire la guerre, à nous qui habitons le désert et qui n’avons ni eau, ni blé, ni vin, ni aucune de ces choses dont vous avez besoin. Pour nous soustraire à l’esclavage, nous nous sommes réfugiés dans cette contrée qui manque de tout ce qui, ailleurs, est regardé comme nécessaire à la vie, nous avons choisi une existence entièrement sauvage… »
A vrai dire, Néher, se demandant si « cette persistance si tenace du nomadisme [avait] favorisé le développement d’un monothéisme rigoureux [et] d’une éthique austère. » répondait, raisonnablement, que c’était peu probable « car il faudrait encore expliquer pourquoi aucune autre tribu nomade de l’Antiquité ne s’est élevé à ce monothéisme. » Blanchot, lui, accorde une valeur absolue à ce nomadisme et à « l’expérience du désert ». Il affirme ainsi que ce n’est que dans le désert, « ce lieu sans lieu », que l’alliance avec Yahvé put être conclue.
Le prophète Amos, certes, semble nostalgique du séjour des Israélites dans le désert où ils ont rencontré Iahvé. Et il semble bien que Iahvé soit un dieu du désert, et il n’y a pas de raison de douter qu’il ait d’abord résidé, d’après les Israélites, au Sinaï. Plusieurs textes bibliques, du moins, l’attestent : dans son cantique, Moïse dit que « [Yahvé] trouve [Israël] dans une terre désertique » ; le prophète Osée fait dire à Iahvé : « Comme des raisins dans le désert j’avais trouvé Israël » : dans le texte biblique le plus ancien qui ait été conservé dans son état complet, le cantique de Déborah, on lit : « Iahvé, quand tu sortis de Seïr, quand tu t’avanças de la montagne d’Edom, la terre trembla… » ; et dans un des très vieux textes rassemblés pour former la Bénédiction de Moïse, on lit de même : « Iahvé est venu du Sinaï et de Séir, il est venu pour eux. Il a resplendi depuis le mont Paran… ».
Mais si le Sinaï est désertique, c’est aussi une montagne. On ne saurait donc nier que ce soit un « lieu ». C’est tout le contraire. Comme l’écrit Renan, « le massif du Sinaï, formé d’un granit sombre, […] est un des phénomènes les plus singuliers de la surface du globe. » « Le Sinaï, est […] dans toute la région saharienne une chose unique, un accident isolé, un trône, un piédestal pour quelque chose de divin » et c’est pourquoi « tous les nomades voisins de l’Egypte en furent préoccupés ? » De fait, il fut « l’objet d’un culte religieux pour les populations d’origine hébraïque ou arabe qui rôdaient dans ces parages.» Albert Réville a d’ailleurs cru trouver la différence entre Iahvé et le commun des dieux, et certains de ses traits caractéristiques en ce qu’il était le dieu du Sinaï : « Les ancêtres nomades des Israélites avaient appris à connaître [leur dieu] au temps où ils erraient autour du massif du Sinaï, aux pieds de monts abrupts, effroyablement déserts, dénudés par de fréquents et terribles orages. Ce dieu foudroyant et igné était le souverain inaccessible de ces hauteurs désolées. Il n’aimait pas qu’on l’approchât ni qu’on le vît. De fait les hauteurs à pic où il se tenait défiaient les ascensions. Sa manière d’être habituelle consistait à s’envelopper de la nuée orageuse et à y rester caché. Mais sa présence était révélée par le feu de l’éclair jaillissant de son être invisible et par les éclats du tonnerre. […]. Son caractère était sévère comme celle de la région où il régnait. Comme il était de nature lumineuse, incandescente, absolument pure, […] il voulait partout la pureté physique et morale .» « Il ne fréquentait pas chez les autres dieux : il n’y avait pas sur les rocs pelés du Sinaï les éléments d’une mythologie de quelque ampleur. […] Il ne fallait pas le contrarier en lui imposant la compagnie des autres divinités. Il ne fallait donc pas en adorer d’autres en même temps que lui. » Alfred Loisy, après l’avoir critiquée, accepta cette idée : « Il semble que le Sinaï de Midian ait été situé dans une religion volcanique, et cette circonstance aide à comprendre pourquoi Iahvé était un dieu igné […] Son tempérament solitaire et exclusif pourrait provenir de la même cause. »
D’autre part, Blanchot semble confondre la traversée des déserts qui séparent l’Egypte du Sinaï et les pérégrinations des « patriarches » nomades. Les déserts sont manifestement inhabitables : Renan écrit qu’à la sortie d’Egypte, « Israël se trouvait en face du désert le plus inhospitalier qui soit sous le ciel » - le désert de Sur et de Pharan ; il écrit du désert de Sin que « c’est un pays affreux, nu, sans eau », et du massif du Sinaï « que c’est l’image parfaite des paysages d’un monde sans eau », « la sécheresse est absolue ». Ce n’est certainement pas dans de tels déserts qu’Abraham a pu faire paître ses troupeaux. En réalité, c’est dans Canaan qu’Abraham nomadise, puisque Yahvé lui dit : « Je te donnerai, pour toi et pour ta race après toi, le pays de tes pérégrinations, tout le pays de Canaan. »
Il est enfin manifeste que Blanchot – comme d’ailleurs Néher - se fait une idée « métaphysique » de la vie nomade. En réalité, si les patriarches étaient nomades, c’est qu’ils élevaient des troupeaux et que ceux-ci exigent des déplacements. Comme le signale Adolphe Lods, « l’élevage du petit bétail […] exigeait de migrations assez étendues. L’herbe du désert était assez vite brûlée sauf aux abords immédiats des sources. »
D’ailleurs, avant que les éleveurs aient nomadisé, ce sont les herbivores qui l’ont fait – et qui le font encore, à l’état sauvage. En effet, « il est très rare que l’herbe se trouve au même stade de croissance et de végétation sur de très grandes surfaces. » C’est pourquoi, « pour exploiter ces ressources de façon optimale, les herbivores doivent donc entreprendre de grandes migrations. L’herbe ne vient pas à eux, ils ne peuvent pas rester à la guetter, il faut qu’ils suivent la croissance, autrement dit qu’ils se déplacent ». C’est un fait que « les herbivores dépensent dans la locomotion bien plus que les autres animaux : « La capacité de parcourir de grandes distances est une question de survie. Ils doivent faire des kilomètres pour parvenir au point d’eau ou trouver de nouvelles aires de pacages. Seuls les plus forts résistent à ces marches de la faim, et les plus forts sont ceux qui dépensent le moins d’énergie pour la locomotion. » Et c’est ce qui explique « le développement d’une patte particulièrement adaptée à la course chez les chevaux et chez un grand nombre de ruminants » .
Revenons aux nomades. Leur nomadisme n’exclut, contrairement à ce que croit Blanchot, ni la possibilité de demeurer ni l’idée de propriété. Comme le rappelle Lods, « en temps normal les déplacements [des nomades] se faisaient dans des limites déterminées. Chaque groupe de nomade a ses terrains de parcours où il entend avoir seul droit de pacage. Il y a là une sorte de propriété foncière. » D’autre part « le domaine du groupe nomade est déterminé par la situation des points d’eau dont il a droit de faire usage ».
On doit certes admettre la relation entre le prophétisme et la nostalgie d’une vie nomade. Mais quelle en est la raison ? En 1960, Roland de Vaux proposa une toute autre explication : « Ce n’est pas le nomadisme qui est l’idéal [des prophètes], c’est [la] pureté de la vie religieuse et [la] fidélité à l’alliance du temps du désert. S’ils parlent d’un retour au désert, ce n’est pas en souvenir d’une grande vie nomade que les ancêtres auraient menée, c’est pour échapper à une civilisation corruptrice. » En quoi la civilisation cananéenne était-elle corruptrice ? En 1930, Lods l’avait clairement expliqué : dès lors que les Israélites s’établirent en Canaan pour cultiver la terre, les rites de la religion des Cananéens leur semblèrent plus utiles que le culte du dieu du désert : « L’installation en Canaan provoqua […] la crise la plus grave que le yahvisme ait eu à traverser avant l’exil » ; en effet, « il n’existait aucune attache traditionnelle entre Iahvé, le dieu tonnant du Sinaï, et la prospérité des récoltes, tandis que la pensée des Baals et les rites de leur culte étaient mêlés de la façon la plus intime à ces travaux des champs auxquels Israël s’initiaient maintenant à l’école des Cananéens. » On comprend dès lors que « le culte des divinités locales ait menacé non seulement de concurrencer celui de Iahvé, mais de l’éclipser : les Baals n’étaient-ils pas les dispensateurs du bien le plus ardemment désiré par le paysan, une récolte abondante ? ». De fait, le prophète Osée reproche à Israël de ne pas reconnaître que c’est Iahvé qui lui donne son blé, son moult et son huile et de considérer ces biens comme des présents qu’il doit aux Baals.
Le prophétisme se caractérise aussi par une protestation contre l’injustice sociale. Or cette protestation pouvait paraître impliquer l’idéal nomade, parce qu’« une conséquence de la fixation des Israélites fut la formation de classes sociales de plus en plus tranchées. » Chez le nomade, en effet, « le plus pauvre est positivement l’égal du plus riche ; tous ont la même nourriture très simple, le même vêtement grossier, le même logement au mobilier rudimentaire la tente. » Mais « les choses changèrent du tout au tout lorsque les israélites devenus paysans et sédentaires. » Grâce à la sécurité croissante régnant dans le pays « les cultivateurs les plus habiles purent conserver leurs gains et les accroître en arrondissant leurs domaines. On pouvait faire fortune en trafiquant adroitement des terres et des grains. » Et les plus riches profitèrent des circonstances défavorables qui obligeaient les petits paysans à leur faire des emprunts pour exiger des gages ruineux et finalement s’approprier les terres des débiteurs insolvables, en le vendant, lui et ses enfants, comme esclaves. » Le prophète Michée les dénonce : « Ils convoitent des champs et les volent, des maisons et ils les enlèvent, ils font violence à un homme et à sa maison, à un homme et à son héritage. » La petite propriété disparaissait ainsi graduellement, les latifundia envahissaient le pays. Le prophète Isaïe les maudit : « Malheur à ceux qui font en sorte que leurs maisons se touchent, qui d’un champ rapproche un autre champ, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de place et que vous restiez vous seuls au milieu du pays ».
L’idée de Néher est donc sans fondement. Mais alors que celui-ci ne proposait qu’une hypothèse, il est frappant que Blanchot affirme cette idée et la radicalise. Pourquoi – si ce n’est qu’elle réveille en lui la hantise d’un espace inhabitable – le « Dehors ».
Conclusion
En 1952, pour illustrer l’errance de Kafka s’éloignant toujours plus du monde des hommes, Blanchot forme l’idée d’un « dehors du monde » - ou plutôt il reprend une idée de certains penseurs de l’Antiquité qui supposaient un espace infini au-delà des limites du monde fini qui était le leur. Ce qu‘il appelle ensuite « le dehors » le hante. Cette hantise l’amène à s’intéresser aux cosmologies modernes qui proposent, l’une le modèle d’un univers vide, l’autre celui d’un univers qui se disperse. Ces modèles correspondent certes à son imagination. Mais l’idée de ce « dehors » s’impose aussi à lui à la lecture d’ouvrages aussi différents que La Construction du Réel chez l’Enfant et L’Essence du Prophétisme et le conduisent alors à se former des idées plus ou moins imaginaires du monde du nouveau-né et du désert biblique.
Bibliographie
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En 2014 la revue Word and Text lançait un appel à contributions sur le thème « les espaces de Blanchot ». Cette contribution n’a pas été retenue.